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Dreamscake
6 janvier 2009

Vert ciel

Sky_by_LSDsuicide

Je regarde autour de moi. Tellement habituée à ce luxe, ces tapisseries, ces fauteuils vieux de quelques siècles.
Ils n'existent plus. M. et A. discutent et se chamaillent, ça faisait longtemps que M. n'était pas venu à la maison. Le téléphone sonne. Je ne décroche pas. Je ne décroche jamais, il y a toujours quelqu'un qui le fait à ma place. Mais surprise, le téléphone sonne pour moi. Qui ne sait pas que j'ai un portable? Une voix féminine, plutôt jeune. Elle ne se présente pas. Je la connais. N'est-ce pas S.? Je ne l'écoute même pas tellement je suis occupée à remonter dans mes souvenirs. Primaire, première cigarette, petit copain imaginaire. Elle me parle d'un devoir de philosophie. Je crois qu'elle pense que je peux l'aider. Sûrement H. qui comme toujours raconte les détails insignifiants de la vie des autres à certains qui écoutent par lassitude. Mais M. et A. s'en fichent que je sois au téléphone et plongée dans le passé, ils parlent et rigolent. J'aimerais bien pouvoir écouter S. un tant soit peu, par respect pour notre amitié passée, par flatterie  pour mon ego, et par curiosité. Pendant qu'elle me parle d'un bouquin sur un détective américain, je tente de résoudre ce mystère: comment quelqu'un avec qui je n'ai pas discuté depuis plusieurs années peut-elle se permettre de m'appeler pour que je lui fasse un cours de philo par téléphone? Tilt dans mon crâne: elle m'a ajouté en ami sur Facebook. Saloperie de réseau virtuel. S. a reconnu la voix de M., elle crie pour lui dire bonjour, demander des nouvelles. Elle me déchire les tympans, M. ne doit par contre elle pas être dans son réseau. Allez, laissons ces gamins chahuter, je sors dans le jardin. Fixer mon attention sur le flux de parole de S. me semble relever de l'impossible. Une question de beauté et de nature dans un roman policier. Hum. Devant moi, le soleil caresse les arbres. Il fait si beau, et les ombres lèchent les murs de la maison. Je ne sais pas ce qu'il se passe aujourd'hui, mais tout est tellement bruyant. Pourquoi personne ne cesse de s'agiter pour contempler la beauté du monde? S. ne s'est toujours pas arrêté de parler. Je m'approche de la terrasse. Un boule s'écrase dans le fond de mon ventre. Une voiture de police, c'est de là que vient ce boucan. Avec C. dedans en larmes et complètement paniquée. Je lâche le téléphone. Elle fonce vers moi, me touche de partout comme pour s'assurer de mon existence. Elle s'affole, elle veut m'ausculter dit-elle. Pour voir s'ils ne m'ont rien fait. Qui ça? Je ne comprend plus. Elle m'entraîne dans la maison, dans la salle de bain, inspecte mon cou. Ils ne m'ont pas fait comme aux autres. Dans le miroir, un homme s'approche, un couteau entre les dents. Il se jette sur nous en hurlant.
   
Il marche dans les rues. Il ne sait pas encore exactement ce qu'il se passe, mais la tension est palpable. Le soleil illumine l'entrée du métro, les gens insensibles se bousculent pour s'engouffrer sous terre. Le ciel semble presque vert. Il s'appuie contre un lampadaire, puis rit à haute voix. Il dit: "Je suis architecte. Je construit le monde, sur le monde et avec le monde. Je construis la vie, le flux entre les êtres. Je construit la possibilité. Je construit l'avenir. Que serait l'homme sans un toit? Que serait-il sans points de repères? J'ai toujours cru cela. J'ai toujours cru que l'homme était le monde. Mais que savons-nous de cette terre muette? Elle est là, elle gronde sous nous, pauvres petits hommes. Nous sommes insignifiants. Ou plutôt nous devrions l'être. Mais nous avons détruit le monde. Tué notre terre. Tué notre avenir. L'homme s'est condamné, suicidé. Ou du moins une partie du monde." Il comprenait ce qu'il se passait, il s'était enfin éveillé. "L'homme blanc, l'homme jaune ont tué la terre. Pollution, pillage, destruction. Ils courent vers le néant, et emmènent dans leur sillon le reste du monde. Pas d'avenir pour ceux qui n'ont pas fini de grandir. Le peuple africain, quand bien même sortirait-il de la misère, n'aurait que poussière pour vivre." Mais c'est là que le bat blesse, et il le savait. Car si aujourd'hui, ils avaient décidé le génocide, ce n'était que par pure égoïsme. Non, ils ne voulaient pas venger la terre, venger la destruction immature. Rien d'héroïque, rien de beau. Eux aussi auraient détruit le monde, ils sont juste jaloux qu'on l'ai fait à leur place. Il rit encore. "Il n'y a pas de justice dans le monde". Lui entend déjà les pas, les cris. Un flux meurtrier s'approche, et eux, pauvres larves plongées dans leur individualité, ne le savent pas. Ne le sentent même pas. Ils s'enfoncent sous la terre qu'ils ont tué, parcours ses entrailles. Premier cri, premier mort. Mouvement de foule, les gens continuent à avancer, comme si un tunnel sans issue pouvait les sauver. Lui ne bouge pas. Il attend sa peine. Un homme se jette sur lui en hurlant, couteau entre les dents.

Réveil.

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