Val
Avec une amie, nous traversons en voiture des vielles routes de
campagnes. Le ciel est safran, l'herbe brûlée, les cigales crissent si
fort que j'en ai la tête qui tourne. Je me sens si petite, les fenêtres
sont si grandes, les épis de blé frôlent les vitres. Je crie d'un coup
pour qu'on stoppe la voiture. J'ai vu quelque chose, une tâche foncée
dans ce jaune ambiant. Je sors, dehors les cigales sont encore plus
assourdissantes. Là, dans un renfoncement, il y a une chatte tigrée. Sa
tête repose doucement contre les feuilles jaunis, ses pattes fines sont
tendues, elle a des petites touffes de poils entre les coussinets. Sur
son ventre, deux chatons dorment paisiblement. Je m'approche, je
caresse les bébés, ce qui ne semblent pas alerter la chatte, qui reste
immobile. Mon amie crie que s'ils ont mon odeur, leur mère ne voudra
plus s'en occuper. Je ne dis rien car je le savais: je l'ai fait dans
ce but. Elle me rejoint, et nous prenons chacune un chaton. Stupeur: la
chatte à deux trous rouge sur le côté droit; les chatons cachaient sa
blessure. Nous partons immédiatement, fuyant cette vision de mort. Dans
la voiture, les deux bébés pleurent doucement. Mon amie, blottie contre
moi me dit qu'elle veut garder le chaton noir et tigré. Je regarde
celui qui de fait m'appartient: aussi safran que le ciel.
Je suis
arrivée chez moi, j'appelle ma mère pour lui montrer ma trouvaille. Je
suis tellement heureuse de cette petite boule ronronnante. Elle sourit
puis me dit d'un air sérieux que nous avons déjà un chat, un peu comme
si elle me reprochait un nouveau caprice enfantin. Je ne comprends pas,
notre chat est mort il y a déjà plusieurs semaines et depuis la maison
est restée si vide. Elle m'explique que mon chat n'est en réalité pas
mort, ou plutôt qu'il l'était mais qu'à présent il est à nouveau en
vie. J'ai un peu peur, et imperceptiblement, je sers contre moi le bébé
chat qui miaule de plus en plus fort. Je ne comprends pas, on l'a
enterré, comment a-t-il pu…? Bruit de pas, miaulement rauque, le chat
s'approche, sale, plein de terre, de croûtes et de sang. Mais alors
qu'il avance, ses poils repoussent, sa démarche s'assouplit, il me
semble de plus en plus petit, pour finalement miauler à mes pieds avec
une voix de nouveau né. Je regarde ses moustaches frétillantes et ses
yeux vifs puis je pose par terre le chaton que j'avais dans mes bras.
Réveil.